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Fausses informations et vraies solutions


© Shutterstock - Michelle Obama

L’autre jour, au travail, une collègue a voulu me convaincre le plus sérieusement du monde que Michelle Obama était un homme. C’est prouvé, c’est sur internet, m’a-t-elle dit. Et là j’ai pris tout à coup la mesure du problème des « fake news ». Une blague ? Certainement pas ! Tout au contraire, un vrai problème à prendre très au sérieux. Pour la démocratie.

Hier, l’information était filtrée par les médias traditionnels - presse papier, d’une part, télévision et radio, d’autre part – tous tenus par les normes juridiques et professionnelles de relater des faits véridiques. Encore que, s’agissant en particulier de la presse écrite, les journalistes aient été libres de les « interpréter » selon leurs allégeances politiques respectives
Tout le monde savait, bien sûr, que certains journaux prenaient des libertés avec la vérité (avec de gros titres comme « Ma copine a été enlevée par des étrangers »), mais personne ne les prenait au sérieux. Pourquoi ? Parce que le faux était leur marque de fabrique. On les lisait pour se divertir, pas pour s’informer. Les vraies informations étaient l’apanage des journaux sérieux et la plupart des gens savaient où les trouver.


© 2016 Reuters/Hannibal Hanschke www.reuters.com

Aujourd’hui, le problème est autre. Pour beaucoup de citoyens de nos démocraties occidentales (voire pour la plupart d’entre eux à en croire plusieurs études), les informations ne sont plus filtrées par une presse digne de foi, mais puisées directement sur les réseaux sociaux qui ne les vérifient pas et ne délimitent pas clairement les champs du réel et de la fiction.

FAUX ! Une adolescente violée par des migrants à Berlin

D’où des épisodes de fake news comme celui de l’année dernière concernant le viol d’une adolescente russe par des migrants à Berlin. Le temps que la rumeur soit démentie par les autorités, les Russes vivant en Allemagne avaient déjà organisé des manifestations et le Ministère russe des Affaires étrangères se déclarait inquiet pour la sécurité de ses ressortissants à l’étranger. Auparavant, cet incident n'aurait jamais été relaté, car les journalistes auraient vérifié les faits avant de mettre leur papier sous presse. Aujourd’hui, le monde des médias est face à une situation inverse, dans laquelle de fausses informations conduisent à de vrais incidents qui sont ensuite relatés dans les médias sérieux.

Analyste politique Charlie Cook : « Le fil d'actualité est pollué par des données non-traitées ».

Pire encore, pour l’analyste politique américain, Charlie Cook « la ligne de démarcation entre vrai et faux journalisme s’estompe, devenant parfois invisible. Dès lors qu’ils s’interrogent sur la crédibilité du journalisme légitime, les citoyens se privent des éléments d’information sur lesquels repose tout entier notre processus démocratique. Les élections sont tributaires de décisions prises en connaissance de cause par les citoyens. Ce qui est impossible, si leur fil d'actualité est pollué par des données non-traitées ».*

 


© Shutterstock - George Orwell, author of 1984 and Animal Farm

Tout le monde n’est pas aussi pessimiste. D’aucuns estiment qu’il faut avoir davantage confiance en l’électorat et mettre l’accent sur la liberté d’expression au lieu de limiter la gamme des contenus web. Pour Mick Hume, rédacteur en chef de « Spike », magazine en ligne britannique, c’est une erreur de croire qu’il existe un lien de cause à effet entre la diffusion de fake news et les récents choix démocratiques du Royaume-Uni et des Etats-Unis que les élites locales n’ont pas digérés. « Ce que ces élites et ces experts contestent en réalité, c’est cette forme de démocratie mal inspirée, dans laquelle les électeurs ont le culot de rejeter leurs conseils et de soutenir des politiques et des candidats qui ne sont pas à leur goût. Ils accusent les électeurs d’être inaptes à la démocratie, plus qu’ils n’accusent la démocratie d’être inappropriée. Pour eux, la solution réside dans un encadrement plus strict du débat public par l’instauration de nouveaux filtrages et contrôles des contenus web…  Un exercice à confier à un Ministère de la Vérité ? »

Analyste de données Roby Caplan : «  Facebook doit modifier ses pratiques commerciales, pas ses algoritmes ! »

D’autres considèrent que les filtres les plus orwelliens de tous sont les réseaux sociaux eux-mêmes, surtout Facebook, consulté quotidiennement par près d’un milliard d’internautes. Pour Robyn Caplan, de l’Institut de recherche new-yorkais Data & Society, « la dépendance financière de Facebook dans laquelle se trouve le secteur des médias d’information pour la distribution de contenus, a, en maintes occasions, limité la portée du journalisme sérieux. L’idée selon laquelle le rôle du journalisme aujourd’hui est de « donner aux gens ce qu’ils veulent » ou « ce qui compte à leurs yeux » procède de la même logique que celle qui dicte la personnalisation algorithmique et le ciblage publicitaire de Facebook. Pour lutter efficacement contre les fausses informations, Facebook devra commencer par reconnaître que les incitations financières et politiques poussent l’entreprise à privilégier le partage et les « clics » par rapport à la diffusion de vrais sujets d’actualité. Facebook doit admettre qu’il est dorénavant l’un des grands vecteurs d’information. Il lui faut non seulement affiner son système algorithmique, mais aussi modifier ses pratiques commerciales et ses objectifs. »

 

 

Cass Sunstein : « Les chambres d’écho engendrent l’extrémisme. Nous devons réduire le nombre de cocons informationnel. »

Pour être juste, on relèvera la récente coopération de Facebook avec les plus éminents fournisseurs d’informations en France et en Allemagne pour vérifier les données et filtrer des articles d’information signalés comme mensongers par des usagers.

Mais Cass Sunstein, professeur de droit à Harvard, et d’autres estiment que le géant des réseaux sociaux pourrait faire plus pour l’émergence d’une culture encourageant l’échange d’idées, même en cas de net désaccord. «  Les chambres d’écho engendrent l’extrémisme. Si vous fréquentez des personnes qui pensent comme vous, vous vous sentirez plus sûrs de vous et resterez campé sur vos positions qui deviendront plus extrêmes. Facebook devrait repenser News Feed, son Fil d’actualités pour faire sortir les usagers de leur cocon informationnel. » Dans son nouvel ouvrage, #Republic, Cass Sunstein préconise une « architecture des heureux hasards » où les médias encouragent les rencontres fortuites de points de vue opposés, poussent les individus hors de leur zone de confort et les obligent à remettre en question leurs convictions restées jusque- là inébranlées.

Dans une année d’élections cruciales aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, la vulnérabilité de la démocratie européenne face aux fake news sera testée comme jamais auparavant.
Pour faire de ce test de résistance une réussite, il est nécessaire d’établir sans plus attendre un vrai leadership –et une véritable coopération- des gouvernements, des organisations internationales, et des organisations de médias responsables, y compris, bien entendu, les réseaux sociaux.
C’est là un fait qu’il n’y a pas lieu de vérifier!
 

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