Prévention de la torture en Europe:
le CPT a 30 ans

 

En novembre 2019, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants – CPT en abrégé – célèbre 30 ans de travail.
 


Mettre un terme à la torture et aux traitements inhumains et dégradants
est un élément essentiel de la protection des droits de l'homme. Lorsque
des personnes sont privées de liberté, elles ne devraient pas être privées
de ce droit.

Créé en 1989 par la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le CPT a ouvert la voie à une nouvelle manière de diffuser la protection des droits de l'homme dans toute l'Europe. Les victimes de torture pouvaient déjà porter des affaires devant la Cour européenne des droits de l'homme. Mais comme il doit être difficile d’avoir tout d'abord le courage de défier son tortionnaire, puis la persévérance et l’énergie nécessaires pour se battre au sein de son propre système judiciaire national et revivre son épreuve, parfois des années après l’événement ! Et même si l'on parvient jusque-là, comment une décision de justice pourrait-elle jamais réparer la torture ?
 

Le CPT était innovant et a apporté un changement fondamental durable. Il a mis en place une méthode de surveillance des lieux de détention où la torture et les mauvais traitements étaient les plus susceptibles de se produire, témoigné parfois de conditions pouvant être considérées comme « un affront à la civilisation », et mis en place les moyens nécessaires à des améliorations constantes et progressives. En travaillant avec les gouvernements sur le long terme, l'approche globale des droits fondamentaux des personnes privées de liberté a changé en bien… et continue de changer à mesure que le CPT s'adapte aux défis d'aujourd'hui.

 

 

Résister aux abus - déclarations publiques

La confidentialité est généralement l’une des règles principales du CPT ; elle lui permet de protéger de tout préjudice les personnes avec qui il s'entretient tout en travaillant aux côtés des gouvernements dans le but d'améliorer la situation. Mais de temps en temps, lorsque la coopération avec un État échoue,le Comité tire la sonnette d'alarme par le biais d'une déclaration publique. Ici, le vice-président du CPT, Mark Kelly, en appelle à la Fédération de Russie.

 


Le CPT veille au respect de ces droits, en se rendant partout où des
personnes sont détenues pour vérifier si leurs conditions sont humaines
et leur traitement acceptable.

Chaque année, les délégations du CPT se rendent dans plus de douze de pays et effectuent des visites d’enquête sans préavis dans des lieux de détention, qu’il s’agisse de cellules de prison, de commissariats de police, de centres de rétention pour migrants, d’hôpitaux psychiatriques ou de foyers sociaux. Elles sont également prêtes à voyager à tout moment pour évaluer des situations préoccupantes. Tout cela est réalisé dans le respect de la confidentialité – ce qui permet aux personnes avec qui le Comité s'entretient de ne pas s'exposer, et aux gouvernements de réagir efficacement et sans la pression d'une publicité négative immédiate.
 

Au fil des ans, ces délégations ont recueilli de nombreuses allégations de mauvais traitements infligés par la police dans le but d'obtenir des aveux. Elles collaborent avec les gouvernements non seulement pour éradiquer les agissements répréhensibles, mais également pour modifier la manière dont les enquêtes sont menées et garantir que ces dernières reposent toujours sur des observations factuelles. Elles veillent à ce que les pays tiennent leurs promesses par des contrôles et des suivis réguliers et, grâce à la vaste expertise de leurs membres, montrent aux pays qui ont recours aux mauvais traitements qu'il existe différentes approches plus humaines. Depuis le début des travaux du CPT, la Cour européenne des droits de l’homme utilise fréquemment les rapports du Comité pour étayer ses arrêts.

 

Au total :

  • 451 visites effectuées (261 périodiques + 190 ad hoc)
  • 405 rapports de visite publiés

 


La confidentialité est essentielle pour que les personnes se sentent en sécurité lorsqu'elles font part de leur vécu aux membres du CPT.
 

Une vie au CPT

Dévouement, expertise et engagement à contribuer à un monde meilleur ne sont que quelques-uns des attributs nécessaires pour devenir membre du CPT. Élus sur une liste restreinte fournie par les délégations nationales auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, les membres du CPT doivent avoir fait leurs preuves dans des professions connexes, telles que les services pénitentiaires ou policiers (certains membres sont des directeurs de prison à la retraite), ou comme avocats, médecins, médecins légistes ou experts en psychiatrie et en psychologie. Ci-dessous, d'anciens membres et membres actuels du Comité et de son personnel partagent leur expérience au sein du CPT.

 

Répondre à toutes les situations - grèves belges

Un long conflit entre le personnel pénitentiaire et les autorités belges exposait les détenus à des risques de malnutrition, de maladie et même de conséquences fatales, car des grèves-éclair les obligeaient à rester enfermés dans leur cellule pendant de longues périodes.

 

Silvia Casale

« Cela ne fonctionne pas comme un travail de bureau »

La criminologue britannique Silvia Casale est la présidente du CPT dont le mandat a été le plus long, de 2000 à 2008, période de forte expansion du nombre d'États membres. Elle a également été présidente du Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture de 2007 à 2009. Elle est actuellement présidente du NPM Obs, l'Observatoire des mécanismes nationaux de prévention de la torture.

Comment s'est passée la collaboration avec le CPT ?

« La prévention de toutes les formes de torture et de mauvais traitements n'est pas une mince affaire. Une prévention réussie est difficile à prouver : si le CPT ne trouve aucun exemple de torture, nous ne pouvons pas démontrer de manière concluante que cela résulte de son travail..

« Il était vraiment important de pouvoir se soutenir mutuellement. Vous visitez de nombreux endroits dans de nombreux pays et cela peut être assez difficile, surtout au début, quand les gens ne savent pas ce que cela signifie de recevoir la visite d'un organisme. Il arrivait qu'on nous empêche d'entrer parce qu'on ne nous connaissait pas. Cela nous a facilité les choses quand nous avons pu sortir un téléphone portable et dire : « Vous voulez vérifier avec le ministère, alors ? »


Les visites permettent au CPT de vérifier les conditions sur place, afin de
tenter d'y apporter des améliorations lorsque nécessaire.

« Il est important que les personnes avec qui nous nous entretenons soient protégées contre les représailles – cela fait partie de la Convention. Cependant, c’est une chose de le dire et une autre de le mettre en pratique. Nous devons donc toujours être conscients que s'engager auprès de nous comporte de gros risques ».
 

Quels sont les points forts du CPT ?

« Avant la création du CPT, les Nations Unies avaient mis en place un système anti-torture, mais il consistait à recevoir et à examiner les rapports des gouvernements et des ONG. Il était important de créer un organe de visite – cela ne fonctionne pas comme un travail de bureau. Il faut être sur place, faire des visites régulières et parler au personnel et aux détenus pour savoir comment ils se sentent et comment ils vivent.

« C'est un organe qui peut se rendre dans n'importe quel endroit où les gens ne sont pas libres parce qu'ils sont détenus par un agent de l'État. Cela revêtait une importance particulière en Tchétchénie, où le CPT a été pendant un certain temps le seul organisme international autorisé par le droit international à visiter les lieux de détention. Le CPT bénéficie également du soutien d'un secrétariat important, expérimenté et compétent, basé à Strasbourg, ce dont le système des Nations Unies ne dispose pas ».
 

Que pensez-vous du prochain chapitre de l'histoire du CPT ?

« Le CPT a beaucoup accompli au niveau international, mais les mécanismes nationaux de prévention constitueront un atout majeur à l'avenir. Ce sont des gens qui ont beaucoup de courage, qui connaissent la situation locale et qui peuvent "débarquer" inopinément, reproduisant ainsi le travail du CPT au niveau national ».

 

Faire preuve de réactivité – En Turquie après la tentative de coup d'État

Une délégation du CPT a interrogé des centaines de personnes qui étaient ou avaient été en garde à vue à la suite de la tentative de coup d'État de juillet 2016.

 


Il est également important de veiller à ce que les détenus aient des possibilités de travail et de loisirs

 

Trevor Stevens

Un essai qui a fait ses preuves

Trevor Stevens a été secrétaire exécutif du CPT depuis sa création en 1989 jusqu'en 2014. Il a participé étroitement à l'établissement des méthodes de travail du CPT et a pris une part active à l'élaboration des normes du Comité.

Comment est né le CPT ?

« Dans les années 80, des discussions étaient en cours au niveau des Nations Unies sur la manière de créer un mécanisme de prévention universel, afin de créer davantage qu'un système de réaction aux plaintes pour torture. Le modèle des Nations Unies a fait long feu, mais le Conseil de l'Europe a repris cette idée. C'est devenu un moyen de vérifier si un système fondé sur des traités, ayant pour but de contrôler les lieux de détention, était viable. Heureusement, le climat et les gouvernements en Europe étaient favorables et le terrain s'est avéré fertile pour cette initiative, malgré les craintes qu’un tel système n’était pas réalisable.
 

Quels obstacles le CPT a-t-il rencontrés ?

« C’était unique : la première fois qu’un organe international recevait des pouvoirs conventionnels importants dans un domaine très sensible – la détention – qui était jusque-là sous le strict contrôle des États. Les gens ne connaissaient pas bien le système et étaient réticents à collaborer, en particulier dans les services chargés de l'application de la loi. Cela a pris du temps, mais avec ténacité et persuasion, il a été accepté.

« Les gouvernements ont eu besoin de temps pour se convaincre que le CPT n’est pas un organe militant, que la confidentialité et l’impartialité sont importantes pour le Comité et qu’il souhaite coopérer avec eux. Il a également fallu du temps pour organiser le Comité en interne. Il s’agissait d’une approche très nouvelle et nous devions développer une compréhension commune des pratiques et des normes de travail, dont aucune n’était énoncée dans la Convention. Tout a dû être pensé de A à Z.

« Les terribles attaques du 11 septembre et la "guerre contre le terrorisme" qui en a résulté ont été un revers, freinant l'engagement en faveur de l'interdiction de la torture et poussant certains États à dénoncer des mesures de protection essentielles ».
 

Quelles sont les forces du CPT et que voudriez-vous voir se développer dans le futur ?

« Le CPT dispose de pouvoirs extraordinaires lui permettant de se rendre dans tout lieu de privation de liberté à tout moment et de parler en privé avec des personnes détenues. En outre, depuis le tout début il a bénéficié – et bénéficie encore à ce jour – d'une vaste expérience, avec des ressources suffisantes pour en assurer l'efficacité. L'un de ses plus grands atouts réside dans sa cohérence et dans le fait qu'il a constitué un corpus de normes basé sur les constatations faites en 30 ans de visites.

« Je pense qu'il faut maintenant mettre davantage l'accent sur les visites ad hoc, sans préavis : le CPT a le pouvoir de réagir immédiatement en cas d'urgence, de voir ce qui se passe réellement sur le terrain et de prévenir les éventuels abus. Un autre pas positif serait que le Comité travaille plus étroitement avec les pays pour les aider à mettre en pratique les changements requis par ses conclusions. Espérons qu'un nombre croissant d'États accepteront de rendre les rapports du CPT rapidement disponibles à un large public ».

 

Faire valoir un point de vue différent - arrêter l'utilisation des lits en filet

Garantir les droits des personnes privées de liberté dans les hôpitaux psychiatriques constitue une partie importante du mandat du CPT. C’est un domaine dans lequel sa large palette de compétences a été utile pour diffuser les moyens de contention plus positifs et plus humains mis en place par certains pays dans d'autres qui recourent encore à des méthodes potentiellement plus dégradantes, telles que les lits de camp ou lits à filet.

 

Régis Brillat

Prêt à relever de nouveaux défis

M. Régis Brillat est le Secrétaire Exécutif du CPT.

Quelles sont vos priorités principales pour l’avenir ?

La première est de maintenir et de transmettre le savoir-faire du CPT et la deuxième est d’accroître son impact.

Le CPT a développé un très important savoir-faire pour l’organisation de visites de lieux de détention, la rédaction de rapports et de recommandations aux Etats, et également en termes de coopération avec les Etats en vue de changer la situation en droit ou en pratique pour prévenir les cas de torture et de traitements inhumains et dégradants. Il est important, dans les années à venir, de maintenir ce savoir-faire et de le transmettre aux nouveaux membres du Comité et aux nouveaux agents du Secrétariat, car c’est une compétence très particulière, impliquant des professionnels de différents milieux, des juristes, des spécialistes des Droits de l’Homme, des spécialistes du monde pénitentiaire ou de la détention, des médecins de différentes spécialités.

Il est en même temps important d’accroître l’impact du CPT par une communication appropriée et par la mobilisation de tous les acteurs : l’ensemble des autorités de l’Etat, exécutif, législatif, judiciaire, autorités locales, autorités en charge des lieux de détention, mais aussi organisations non-gouvernementales, institutions nationales des droits de l’homme, mais aussi toutes les institutions du Conseil de l’Europe, en particulier le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire.
 


Outre les postes de police et les prisons, le CPT effectue également des
visites dans les hôpitaux psychiatriques et les foyers sociaux.

Est-ce que les défis auxquels vous êtes confrontés maintenant sont différents du passé ? Est ce qu’ils nécessitent une approche différente ?

Oui, bien sûr. Les différents lieux et les différents régimes de privation liberté évoluent en Europe. A titre d’exemple, les questions de migrations ont aujourd’hui une importance prédominante. De même, le traitement des personnes dans les hôpitaux psychiatriques soulève d’autres enjeux qu’il y a une trentaine d’année. Le Comité doit relever ces défis et adapter ses méthodes de travail.
 

Est que les gouvernements continuent à accepter l’importance du travail de CPT ?

Je crois que l’attention et l’importance que les gouvernements attachent au CPT est croissante. En même temps, je suis convaincu que les difficultés auxquelles sont confrontés les gouvernements lorsqu’ils veulent mettre correctement en œuvre la Convention des Droits de l’Homme sont également croissantes. Ils mènent des réflexions sur de nouvelles modalités d’action face aux défis. C’est pour cela que la coopération du CPT avec les États Parties est une dimension essentielle de son action.

 

S'adapter aux nouveaux défis - vols d'expulsion

Au cours des dernières années, de plus en plus de pays ont été confrontés à la difficile décision d'octroyer le statut de réfugié ou d'asile à des migrants d'autres pays. Les demandeurs qui échouent doivent faire face au voyage vers leur pays d'origine, souvent sur des vols charters accompagnés de policiers ou de douaniers… et privés de liberté. Ici aussi, le CPT joue un rôle essentiel en veillant à ce qu’ils bénéficient d’un traitement équitable. Ce rapport présente les résultats d'une intervention du Comité dans ce contexte.

 


La délégation vérifie les conditions de vie des patients et émet des recommandations de changement dans son rapport au gouvernement concerné.

 

Olivera Vulic

Le but ultime : une Europe sans torture

La psychiatre Olivera Vulic, ancienne directrice du Centre de santé mentale de Podgorica au Monténégro, travaille maintenant en tant que consultante indépendante. Elle termine un mandat de 12 ans auprès du CPT à la fin de 2019.

Qu'est-ce qui vous inspire dans votre travail avec le CPT ?

En tant que jeune médecin spécialisée en psychiatrie, on m'a proposé un emploi dans la principale prison du Monténégro, et j'ai accepté parce que c'était un défi. J'ai très vite constaté des divergences entre les normes théoriques et la pratique quotidienne, dont certaines interféraient avec ma pratique clinique, ce qui était très frustrant. Devenir membre du CPT signifiait que je pouvais personnellement contribuer à réduire cet écart et à traduire la théorie en pratique.
 

Qu'a de particulier le travail avec le CPT ?

En tant que psychiatre, vous intervenez généralement auprès de personnes individuelles. Avec le CPT, vous travaillez au niveau systémique, vous avez une vue de l’ensemble et transformez la réalité pour tous. La force du Comité réside dans la qualité de son travail et dans son professionnalisme et son efficacité.
 

Que pensez-vous qu'il reste à faire dans le futur ?

L’objectif ultime, bien entendu, est de faire de l’Europe une zone exempte de torture et c’est quelque chose qui est encore hors de portée. Même si nous y parvenions, il faudrait exercer une vigilance constante pour veiller à ce que cela se maintienne. Il y a encore de nombreux abus – conditions de détention inadéquates, patients n'ayant plus besoin de rester hospitalisés mais gardés en institution pendant des décennies en raison du manque de structures d'accueil adéquates dans la société. Le CPT doit continuer d'être actif dans le futur.

 

 


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